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L’Île

Personnages:

François, 40 ans, compagnon de Jeanne

Jeanne, 42 ans, compagne de François

Claire, 16 ans, leur fille aînée

Sophie, 9 ans, leur fille cadette

Lui, âge inconnu, colon de l’Île

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Scène première, LE BLIZZARD

Une tempête fait rage. Au travers d’un épais voile de neige, nous distinguons la silhouette d’un homme bossu qui peine grandement à se tenir sur ses jambes tant le vent souffle avec véhémence. Dans sa main, on devine une hache, bien que nul rayon ne nous en dessine les détails de son éclat. Le dense tapis blanc qu’il s’efforce de parcourir, sans cesse nourri par la chute uniforme de quelques milliards de flocons, fait de l’homme le vieillard qu’il n’est pas.

François – Diable ! Me voilà dans de beaux draps ! Cela fait déjà longtemps que j’ai quitté la maison et il serait pure folie que d’envisager de faire demi-tour maintenant. Il me faut trouver refuge au plus vite…

Il poursuit sur une centaine de mètres vers le col de la montagne puis s’arrête pour scruter les environs à la recherche de quelque signe salvateur. Là, une bourrasque anormalement violente vient lui frapper le visage et le déséquilibre, si bien qu’il tombe en arrière et roule sur plusieurs mètres tandis que chaque révolution de son corps éreinté fracasse la hotte en osier dissimulée sous sa cape, d’où bientôt s’échappent les bûches amassées plus tôt ce jour. Lorsqu’il parvient à freiner sa glissade, il s’assied, soulage son dos de l’armature rendue inutilisable puis contemple avec désespoir le produit de son labeur dégringoler vers la vallée où il vient d’œuvrer des heures durant.

François – Et bien, même si je m’en tire, c’est les mains vides que je reviendrai parmi les miens. Nul trésor à ramener, nul récit à rapporter, si ce n’est celui de la misère que le froid se plaît à réduire au silence, l’éternel conte de la flamme qui vacille puis meurt d’avoir trop ardemment consumé, trop fervemment aspiré.

Une seconde bourrasque se distingue de par sa violence et rase le sommet du col, épargnant cette fois l’homme qui se recroqueville par précaution. Un bruit terrible résonne. Lorsqu’il relève la tête et ouvre les yeux, il constate qu’à une cinquantaine de mètres de lui, un bosquet entier de conifères vient de céder sous le poids du vent, révélant ainsi la forme singulière d’un amas rocheux. L’homme s’y dirige alors tant bien que mal puis réalise petit à petit que l’agencement des pierres est trop mathématique pour être étranger à la main de l’Homme. Enfin, parvenu à quelques pas de l’édifice, il distingue ce qui s’apparente à une porte en bois massif et n’y voyant pas de poignée, il utilise le peu de forces qui lui restent pour l’enfoncer de l’épaule. Celle-ci s’effondre droit sur le sol et François avec elle. Abasourdi par le choc, il gît sur la porte et à mesure que ses sens lui reviennent, il perçoit d’abord un claquement de dents puis réalise que cela provient d’un coin de la pièce plongé dans les ténèbres.

Inconnu – *clac clac clac*

François, se relevant pour remettre la porte en place – Navré pour la porte et le courant d’air, l’ami, mais il me faut te demander l’hospitalité. Lorsque les éléments se déchaînent, nous ne sommes rien sans la science de notre prochain, n’est-ce pas ? C’est d’ailleurs une fière bâtisse que tu as là ! Mais… où donc sont les gonds ?

Alors qu’il tente de trouver un moyen de bloquer la porte dans l’encadrement, il réalise que les claquements se sont tus. À la place, un grognement si grave qu’à peine audible emplit à présent la pièce. Après une seconde de considération, il fait volte-face et brandit sa hache juste à temps pour asséner un violent coup avec le dos de la lame sur l’ombre menaçante qui vient de lui bondir dessus. Un bruit sourd retentit, puis le silence glaciaire reprend sa place. Une fois les battements de son cœur calmés, François baisse prudemment sa garde et ses yeux maintenant familiers de la pénombre se fixent sur ce qui semble être le corps nu et inanimé d’un homme, un épais et chaud liquide ruisselant de son cuir chevelu.