Scène quatrième, DOMICILIUM
La scène s’ouvre sur un intérieur à l’allure modeste, tout de bois conçu. Les derniers rayons de l’astre déclinant entrent par la fenêtre de gauche et pénètrent çà et là les interstices qui parsèment les murs. Dans le coin gauche se trouvent deux paillasses sur lesquelles se repose une jeune fille, les yeux se baladant sur les combles. Au centre de la pièce se tient une fille plus âgée qui brosse péniblement sa blonde chevelure. Assise à côté de la fenêtre est une femme d’âge moyen qui achève de tresser un panier en osier sur ses genoux ; la douceur de ses traits, déjà éprouvée par le temps, peine à masquer le poids d’une inquiétude visible. Ses yeux roulent nerveusement en balayant le chemin qui mène à la maison, au bout duquel elle attend anxieusement de voir apparaître une silhouette familière.
Claire, continuant de se brosser énergiquement les cheveux, penchée en avant – Il sera de retour bien vite, ne te fais pas un sang d’encre. Tu connais papa aussi bien que moi, il n’est pas rare que ses rêveries le perdent et que trois jours durant, il nous soit difficile de lui parler. Il se sera laissé aller à un de ces épisodes et nous reviendra d’ici demain soir en nous contant les bienfaits de la méditation ascétique et du cynisme… Voilà tout !
Jeanne, ne se tournant pas pour répondre à sa fille – Non, cette fois-ci, il ne s’agit pas de cela… Il s’est passé quelque chose, j’en suis certaine. Il a dû se trouver pris dans la tempête d’hier soir et gît sûrement à bout de forces quelque part. Je ne peux plus rester ici à l’attendre, je vais partir à sa recherche.
Claire, relevant la tête et fronçant les sourcils – Et qu’advient-il de nous, alors ? Je meurs de faim !
Jeanne, se retournant cette fois-ci – Tu habites ici, non ? Alors tu sais où se trouve le garde-manger avec le pain et le fromage.
Claire – Du fromage, du fromage… Voilà tout ce qu’il y a dans cette maison.
Jeanne – Estime-toi heureuse que notre chèvre ait survécu aux caprices saisonniers. Nos plants n’ont pas montré tant de ténacité et tu sais que ton père fut peu chanceux lors de ses dernières chasses. Et pourquoi n’apprendrais-tu pas à chasser, ne crois-tu pas qu’il est grand temps ?
Claire, pouffant de rire – Bien sûr ! Et peut-être devrais-je aussi renoncer à ma féminité. – Un grand frisson la parcourt – Bon sang ! Qu’il fait froid ici !
Jeanne, regardant brusquement sur la paillasse derrière elle – Sophie, as-tu froid, ma chérie ? Veux-tu que l’on couvre les fenêtres pour la nuit ?
Claire dirige elle aussi son regard sur sa petite sœur qui se contente de tourner le visage vers sa mère, ne laissant apparaître ni signe d’approbation, ni quelque émotion que ce soit.
Claire, après quelques instants de silence puis un long soupir – Il m’arrive d’oublier…
La mère et l’aînée se remettent alors à débattre de quelques triviales préoccupations, ne prêtant davantage d’attention au mutisme de la jeune fille à la crinière noir corbeau, qui se lève sans un bruit puis disparaît par l’encadrement, au fond à droite, et revient vite avec quelques bougies allumées. Elle les dispose un peu partout dans la pièce, n’oubliant pas d’en placer une près de la fenêtre, à laquelle sa mère, indifférente, semble avoir oublié le sujet de ses tracas. Dehors, seule la cime de toute chose accueille les dernières lueurs du jour.