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Scène troisième, LE RESAS

François parcourt les amas rocheux sur lesquels il vient de se livrer à une pêche plutôt prolifique, laissant derrière lui d’épais filets rougeâtres emplir çà et là les crevasses et se diluer vers le large. Bien vite, il parvient à poser le pied sur une plage adjacente. Là, il s’assied dans le sable après y avoir fermement planté son harpon, le long duquel quelques poissons achèvent de se débattre vainement. Tandis qu’il se sert de sa main gauche comme d’une visière pour parer le soleil qui déjà cherche à rejoindre sa couche occidentale, sa main droite plonge à intervalles réguliers dans le sable et en tamise délicatement les grains.

François, soupirant lourdement en scrutant l’horizon maritime – Ah, mer ! Il me souvient d’un temps lorsque tu n’étais plus qu’une image de carte postale, une rêverie libertaire dans les discours de ceux qui étouffaient de la grisaille des villes ; plus tard, l’expression imagée du caractère insondable des marchés bancaires et d’autres fois encore, la compagne silencieuse qui berçait mon esprit tourmenté. Tout ceci, bien sûr, avant que ton identité ne te soit rendue et que tu ne sois plus que l’image de toi même, avant que je ne vienne chercher exil par-delà tes flots. Et pourtant, voilà qu’à nouveau tu m’apparais comme par le passé ; l’immensité de ta calme surface se faisant vitrine de ce monde que j’abhorrais et adorais tant. Il me semble voir naître et mourir en tes ondulations les femmes de satin vêtues qui défilent aux côtés des militaires, le poète qui fait l’éloge de l’ivrogne tandis que ce dernier rit de sa propre infortune éphémère, le fou qui rend grâce aux cieux lorsque la terre et la main du païen lui consentent quelque généreux “Amen”.  Mer, miroir de la vie émanant de ton sein, patiente quelques marées encore, endure les aléas du sort, et tes enfants, même les plus volatiles, te reviendront enfin.

Le mirage se dissipe alors aussi imperceptiblement qu’il est apparu et le temps reprend son cours. François relâche ses bras et se fige tandis que se met à tomber tout autour une fine pluie d’un sombre nuage qu’il n’avait pas vu s’approcher.

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